29 avril 2010

Charlie




Un jour il est arrivé
avec ses yeux verts
perçants
un peu saltimbanque
dresseur de serpents
il se faufile et il file
comme le vent
et quand le bruit
d´assiettes cassées
retentit dans la maison
nous devinons
qu´il est déjà loin
introuvable et malin
c´est un chat noir
comme la nuit
quand il ronronne
toujours très câlin
nous l´appelons Charlie.

Il y a moins de 100 ans
les paysans les clouaient
sur la porte du grenier
pour éviter le mauvais sort !
Ils ne connaissaient pas encore
la pire de toutes les calamités :
l´inexorable Loi du Marché.

24 avril 2010

Souvenirs de Mendoza I

Je suis arrivé à Mendoza en 1944. J´avais 14 ans. Mon père habitait alors chez son frère André à Costa de Araujo. Sur mon blog, j’ai déjà fait un article sur Costa de Araujo. C´est, on peut dire, le dernier village avant le désert. L´oncle André exploitait une belle propriété, bien entretenue, qu´il avait héritée de son père. Il était d´ailleurs, au grand scandale de la famille, le seul des frères à avoir réclamé sa part. Les autres avaient cédé l´usufruit de l´héritage à leur mère.
André était, sans aucun doute, le plus sympathique de tous les frères. Il était aussi celui qui buvait le plus, mais uniquement du vin. Il avait une belle femme brune, un peu ténébreuse, et une fille, Irène, de 19 ans pleine d´humour et d´entrain. Le fils, Guido, était à l´armée.
Mon oncle me proposa, un jour, de faire un tour avec un cheval qu´il avait sellé pour l´occasion. De retour de ma balade l´oncle exprima sa surprise : C´était la première fois que ce cheval ne jetait pas à terre son cavalier ! C´était le genre d´humour de l´oncle André !
Mon père cherchait un travail. On lui proposa le nettoyage de cuves de vin dans un chai réputé à San Rafaël. Le chef de chai était un cousin germain de mon père. C´était un travail dur et malsain, mais mon père l´accepta. Les cousins nous cédèrent une chambre dans leur maison. De là nous déménageâmes à Lagunita (département de Guaymallén, où mon père était né) et nous travaillâmes tous deux dans les vendanges. Je remplissais les seaux de raisin et mon père les transportait au camion. Mon père avait loué une chambre dans un bistrot. C´est moi qui faisais la cuisine...

18 avril 2010

Aux poètes morts

Les poètes
ne se sentent jamais seuls
dans leur tombe
ils peuvent enfin parler
sous terre les langues
poussière de soleil
poussière d´étoiles
avec Dante et Homère
avec Goethe et Hugo
avec Maïakovski et Vallejo
avec Whitman et Bellman
avec Aragon et Wang An Shih
avec Neruda et Alberti
sans oublier David M. Diop et
Césaire bien qu´il soit encore vivant.
Ils peuvent parler au vent
poussière de soleil
poussière d´étoiles
et aux poétesses de tous temps
Sappho, Al-Khansa et Edith Södergran
et surtout à Gabriela et à Alfonsina
dans les vagues de l´océan.
La langue n´est plus un obstacle
quand on dort
d´une belle mort
et la poésie est universelle
quand la terre vous protège du temps
et vous n´êtes plus que
poussière de soleil
poussière d´étoiles.

14 avril 2010

Poèmes pour rire : L´automobile

(A Aidenor Aires)

Le cheval mange de l´herbe
et boit de l´eau
mais il n´est plus à la mode.

L´automobile boit du pétrole
et mange des vies humaines
et maintenant elle boit aussi
de l´alcool et mange
des millions d´hectares
de bonnes terres.

L´automobile à crée des routes
le travail à la chaîne
l´air irrespirable des villes
les parkings de supermarchés :
toutes les joies de la modernité.

La voiture individuelle
classe les hommes
en modestes et puissants
selon le nombre de chevaux
qu´ils cachent sous le capot.

Un cheval deux chevaux
pour tirer une charrette
mais combien de chevaux
dans le moteur de votre auto
vous faudra-t-il pour paraître
un peu plus intelligents ?

12 avril 2010

Souvenirs de quartier (Buenos Aires III)

Ce fut néanmoins dans le quartier de Florida où j´appris la vie de “barra” (groupe de jeunes garçons liés par le voisinage). Le chef respecté de la bande était Jorge, le fils du boulanger du coin. Sa soeur jumelle, Nélida, est devenue ma copine. J´ai été facilement admis dans le groupe. J´ai eu deux ou trois fois à me battre mais, dans l´ensemble, notre petite bande était plutôt pacifique. Quand nous rencontrions une autre “barra” on s´affrontait, généralement, au foot dans la rue. Parfois avec une vieille balle de tennis ou même de tissu. Dans ce quartier peu de personnes avaient des voitures : La rue nous appartenait !
A cette époque tous les commerçants faisaient crédit. On faisait les courses avec un carnet. Chaque commerçant y notait les achats. A la fin du mois ils faisaient l´addition et chacun payait le boulanger, l´épicier, le laitier et le boucher. Peu de clients déménageaient la nuit sans payer. Ce système artisanal n´avait besoin ni de banques ni de cartes de crédit ; il fonctionnait parfaitement bien. Il arrivait même que le délai s´étende à deux ou trois mois quand un bon client était malade ou provisoirement chômeur...
Même dans les quartiers riches les gens payaient à la fin du mois. Notre voisin boulanger avait une carriole tirée par un cheval. Trois fois par jour il livrait le pain encore chaud et les viennoiseries dans les quartiers bourgeois. Les bonnes recevaient la livraison. Le cheval connaissait le parcours et s´arrêtait devant chaque client !
Jorge qui avait, comme moi, 12 ans savait s´occuper du cheval. Nous partions parfois faire des livraisons. Ce sont mes meilleurs souvenirs de la vie de quartier !

07 avril 2010

Traduire Neruda



“Confieso que he vivido”
et vingt chansons d´amour
et le grand désespoir de vouloir
traduire
sans nuire
les immenses crêtes de la Cordillère
avec pour référence ultime
les hauteurs de Marseille
et Don Quichotte dans le coeur
mais
comment peut-on dire vrai
sans connaître le goût et l´odeur
sur toute sa longueur
du printemps à Valparaíso
et de l´hiver à Rancagua
et, Dieu me pardonne,
sans avoir aimé Maria
à Antofagasta et Valdivia ?

Qui donc pourra parler de vie
d´amour et de désespoir
s´il n´a pas connu les lèvres
de Blanca, de Delia et de Matilde
de Punta Arena à l´Ile Noire

03 avril 2010

Poèmes pour rire : La gloire du poète

Il y avait en Aquitaine
un poète tontaine
un poète gascon
qui écrivait des poèmes
tontaine
des poèmes abscons
en dialecte breton
tontaine
sa muse alsacienne
les transformait en chanson
tontaine
en chansons freudiennes
pour jeunes barytons
tontaine
où va donc mon poème
où va donc ma chanson
est-ce une vie saine
de faire des poèmes
tontaine
seul dans une prison ?

Maudit soit celui qui m´enferme
dans le ventre de la baleine
de mes pauvres illusions
de poète raté et vagabond !

Tontaine et tontaine
sans être le grand Villon
j´assume mes peines
et la malédiction
de tous les exilés gascons.

01 avril 2010

Souvenirs de Buenos Aires II (La séparation)

Mon père ne garda pas longtemps son travail de jardinier. Il n´était pas habitué à recevoir des ordres !
Madame Suzanne (une Française au passé, semble-t-il, assez scandaleux), mariée au gérant d´une des plus grandes fabriques de cigarettes du pays, aida mon père à obtenir un travail de “contrôleur”. Il était chargé de contrôler la qualité du travail des femmes qui débarrassaient les feuilles de tabac de leurs tiges et brindilles. Le travail le moins qualifié et le plus conflictuel de l´usine, car les ouvrières étaient astreintes à produire un certain nombre de paniers par jour ! Si le triage était mal fait mon père devait le refuser ! Un travail de salaud, mal payé. Comme beaucoup d´ouvriers, il devait faire des heures supplémentaires. Les journées de 10 heures étaient habituelles. L´ambiance à la maison était tendue. Tellement tendue qu´elle finit par casser.
Ma mère quitta la maison pour une pension de famille au centre de la ville. Elle trouva un emploi de manucure dans un salon de coiffure près de la pension. Bien que perturbé, je la suivis. J´appris plus tard qu´elle quittait mon père pour Natalio. Malgré quelques incompatibilités de caractère - elle était gasconne, coquette et dépensière et lui tisserand juif, rescapé de Lituanie, plutôt austère et économe - ils restèrent ensemble pendant plus de 50 ans !
Mon père, ne sachant quoi faire, partit rejoindre ses frères à Mendoza. Moi je perdis mon année au très bon lycée technique Otto Krause (où j´avais été admis par concours). Je demandais alors à ma mère l´autorisation de rejoindre mon père pendant les vacances.