31 octobre 2010

Monuments

Ah, Libranos, Señor,
de los explotadores de cadáveres...
LUIS CARDOZA Y ARAGÓN
(Poème a Rafael Landivar)

Dieu ô Dieu des vivants
Dieu des pâquerettes
Dieu des cigales
Dieu des sourires :

Délivre-nous des charognards
délivre-nous des exploiteurs de tombes
délivre-nous des profiteurs d´enterrements
délivre-nous des marchands
qui se nourrissent et s´engraissent
de monuments

de monuments
aux héros
aux résistants
au soldat inconnu
aux généraux
aux disparus
aux glorieux
aux crucifiés
aux poètes torturés
par ces mêmes généraux

et qui oublient
qui oublient
toujours les vivants
et qui oublient les pâquerettes
les cigales
et le sourire
et l´envie de vivre
des vivants.

30 octobre 2010

Travailler à Paris II

Nous étions trois dessinateurs à MMM. Un était un vrai parisien. L´autre ch´timi. Le parisien, né et élevé dans le quartier de Belleville, avait un très riche vocabulaire d´argot. Il se réjouissait chaque fois que ses deux collègues “n´entravaient que pouic à sa jactance”. Ce fut mon initiation à l´humour parisien de base.
En face de la société MMM, il y avait le bistrot d´un Corse qui servait un menu unique pour 200 francs (je gagnais alors 75.000 francs par mois). C´était une nourriture simple mais, à mon goût, savoureuse. Le quart de vin était compris dans le prix. Je partageais ma table avec un tourneur de MMM, d´une cinquantaine d´années, qui me parlait, avec érudition, de spécialités culinaires et de vins de pays que j´ignorais. J´apprenais, avec intérêt, à connaître la France prolo et sa riche culture.
Les premiers jours de mon arrivée à Paris, mon cousin Maurice organisa un repas en l´honneur d´un polytechnicien - un autre lointain cousin - qui, d´aprés lui, pourrait m´aider à trouver un emploi dans ma spécialité. Le repas, très classique, servi dans de la porcelaine de Limoges et des verres en cristal, fut délicieux. Apéritif, vol-au-vent en entrée, gigot d´agneau accompagné de petits pois et de pommes-noisette, salade et glaces pour finir. On monta de la cave des bouteilles de vin blanc et de rouge, dont les étiquettes étaient légèrement moisies. Ce fut l´un des repas les plus raffinés de ma vie.
Ma tante Mado d´Aubagne était une très grande cuisinière provençale. Tout ce qu´elle cuisinait était divin, mais la table était toujours familiale. Il n´y avait pas, chez elle, la mise en scène des bourgeois parisiens.
Ma tante Mado

25 octobre 2010

Travailler à Paris I

J´ai déjà commenté ma vie et mes rencontres à Paris. Paris est pour l´étranger qui a du temps libre et assez d´argent, une source inépuisable de découvertes dans les domaines de la culture et du spectacle. Je dirais même que la raison d´être de Paris c´est l´abondance et la qualité des spectacles qu´elle offre. Chaque vieille rue, chaque monument, chaque place est une référence à nos souvenirs de romans, de films et d´histoire. Paris est, pour le touriste cultivé, un théâtre grandeur nature. Parfois des plaques dans les rues nous le rappellent. L´histoire est son fonds de commerce !
Je suis resté plus d´un an à Paris. Je sortais tous les soirs. Je n´ai vu, faute d´une solide culture, faute d´amis parisiens et, surtout, faute d´ordre de priorités dans mes recherches, que de modestes échantillons de la vie culturelle parisienne. J´étais néanmoins ébloui ! Ebloui et abasourdi par la variété d´informations et de sensations que m´offraient chaque musée, chaque théâtre, chaque cinéma d´essai. Mais aussi par les personnages qui traînaient dans les rues et dans les bistrots, artistes et clochards - parfois les deux en un - en transformant chaque lieu de la ville en vraie scène de cinéma. Tout me semblait insolite et merveilleux..
On a tellement photographié et dit des choses sur Paris que le mythe est devenu la principale attraction pour les touristes. Les Français eux, indifférents, marchent sur les mêmes trottoirs que Baudelaire, Verlaine et Rimbaud mais ils ne les connaissent plus. Ils vont dans les mêmes cafés que Tristan Tzara, André Breton et Paul Eluard mais ils n´ont aucune pensée pour eux. Ils les ont oubliés !...

20 octobre 2010

Le retour en France III

Après une halte chez ma tante Mado à Aubagne, je suis parti, anxieux, chercher un travail à Paris. Il y avait, en 1956, un épais hebdomadaire, rempli de petites - et grandes ! - annonces, proposant des emplois dans tous les domaines. Je me suis présenté, dans plusieurs entreprises, pour un poste de dessinateur industriel. En Argentine je dessinais, à partir d´une idée, d´un petit croquis ou d´une photo une machine que personne n´avait jamais vu fonctionner. Nous les réinventions pour notre besoin. Donc j´étais au plus haut niveau de ce métier. N´ayant jamais travaillé en France je me présentais pour une catégorie intermédiaire : dessinateur 2ème échelon ! Toutes les entreprises qui m´ont fait passer un essai - certaines avec des dizaines de dessinateurs - me proposèrent un emploi. Je choisis celle qui m´offrait - malgré ses vieux locaux poussiéreux - le meilleur salaire et le travail le plus intéressant : dessiner des rotatives pour l´imprimerie. Je commençais, dès mon arrivée, à projeter - 10 heures par jour - un prototype de machine pour épreuves de plaques typographiques. C´est ainsi que j´appris que les normes DIN, que je connaissais, étaient allemandes. Les normes françaises étaient différentes des allemandes et celles de l´usine MMM encore différente des françaises. C´est le Marché Commun qui remit de l´ordre dans cette cacophonie technique européenne ! Ce sont les normes allemandes, plus rationnelles, qui prirent le dessus. Quand vous achetez, dans une papeterie, une feuille de papier A-4, c´est un format selon les anciennes normes allemandes ! Peu de gens le savent !

17 octobre 2010

Le roseau et le baobab

Il soufflait le vent
le vent d´harmattan;
le roseau pliait pliait
et le baobab en riait.

Comme quoi il ne faut pas toujours croire

aux vieilles histoires coloniales, aïe !
de toubabs et de valets

13 octobre 2010

Le retour en France II

Le bateau me déposa à Marseille. La première chose que je fis fut de boire une verre de cognac dans un bistrot. Un vrai cognac français. En Argentine ce n´était pas dans mes moyens. J´étais ému par mon retour à la source de mes souvenirs d´enfant. J´avais 10 ans quand je quittais la France. Au plus profond de moi-même je me suis toujours senti Français. Malgré diverses propositions, j´ai toujours refusé la double nationalité. Pourtant la France m´a souvent poussé à l´exil : En 1940 par l´occupation allemande, en 1957 en voulant m´envoyer faire la guerre au Maghreb, en 1978 en me refusant, à 48 ans, un simple emploi et en 2005 par incompatibilité culturelle avec mes voisins gascons. La France est une grande dame très admirée, mais souvent capricieuse et cruelle dans ses rapports avec ses amants.
Ceci me fait penser à un poème médiéval espagnol dans lequel le poète, transi d´amour, dit qu´il a dans le coeur une flèche qui le fait souffrir : s´il l´enlève il meurt et s´il la laisse aussi. La France est ma flèche !...
C´est bien connu que beaucoup d´étrangers admirent notre littérature car elle est porteuse de liberté et d´idées nouvelles et que l´Etat français s´en enorgueillit. Néanmoins, un grand nombre d´écrivains et de poètes français, parmi les plus prestigieux, ont vécu méprisés et parfois persécutés, emprisonnés et poussés à l´exil par les autorités de leur époque. Serait-ce qu´il faut être mort et enterré pour que les autorités françaises reconnaissent les mérites et les vertus de leurs meilleurs écrivains ?
Pourquoi, alors, tant d´écrivains étrangers ont-ils cherché refuge à Paris ?...

11 octobre 2010

Lève toi et marche camarade! (Introduction)

Il y avait plusieurs mois que les muses m´ignoraient. Pas un poème n´est venu taper à ma porte. Comme je suis maintenant très vieux j´ai pensé que c´était la fin de l´inspiration. Puis disons-le : un homme sérieux, à 80 ans, s´il ne veut pas se ridiculiser, évite de dire qu´il est poète, surtout s´il est français. Et ce n´est pas tout : l´infime poète qui vous parle prétend également écrire, traduire et publier de la poésie sociale et subversive. Il faut savoir que, depuis des décennies, ce n´est plus à la mode. La mode est au lyrisme apolitique !
César Vallejo, Pablo Neruda, Aimé Césaire, Aragon, Maïakovski, Paul Eluard, Char, Benjamin Péret, García Lorca, Rafael Alberti, Julio Cortázar, Roa Bastos, Luis Franco, Francisco Urondo, Mario Benedetti, Octavio Paz, Nicolás Guillén, etc. sont si peu présents dans la mémoire des intellectuels contemporains qu´on peut se demander si un jour ils ont vraiment existé ! L´apolitisme des esthètes, des prudents, des opportunistes, marginalise toute la poésie engagée du passé et celle du présent.
L´horrible mur de Berlin est tombé et a été remplacé par un autre, bien plus infranchissable, qui sépare le XIXème du XXème siècle. En littérature, on admet la révolte culturelle de quelques fils de bourgeois alcooliques, drogués, syphilitiques, antérieurs à la révolutions russe, mais on ne pardonne pas à tous ceux qui, au XXème siècle, ont choisi le marxisme plutôt que le fascisme et le nazisme. Pourtant, à partir de 1933, quel intellectuel honnête, ayant une conscience politique et sociale, pouvait choisir Hitler plutôt que Staline ? Les morts dans les camps nazis n´ont pas eu ce choix !

07 octobre 2010

Retour en France I

Quand on a passé une partie de l´enfance dans une région qui parle notre langue maternelle, dans une ambiance familiale et protégée, dans un paysage et des parfums de campagne, on en garde des souvenirs inoubliables. Certains mots sont porteurs de sensualité, certaines odeurs de regrets d´innocence et le lointain passé tricote du rêve embelli. Les émigrants cachent tous, au fond de leur âme, des bouffées de nostalgie. La soupe, cuite sur la cuisinière au feu de bois, était meilleure au pays. Jamais plus on en a mangé d´aussi bonne ! On fait semblant d´oublier que, parfois, la faim était le principal assaisonnement du plat unique. On oublie, aussi, que quand on était jeune on se dépensait beaucoup plus que maintenant. On faisait, dans nos campagnes, des kilomètres à pied, dans le froid et la pluie, pour aller à l´école. Quand on cultivait la terre, on marchait des journées entières derrière la charrue. Les bras et les jambes étaient les principales machines, du début du XXème siècle, dans nos campagnes.
En ville on montait souvent à pied, jusqu´à six étages pour atteindre son logement, après 8 ou 10 heures de travail à l´usine et deux heures ou plus de transports en commun par jour. C´était la routine pour de nombreux travailleurs...et elle l´est encore aujourd´hui. La modernité n´empêche pas l´exploitation des plus pauvres. Mais est-ce que la soupe en sachets laissera autant de souvenirs ?
Pourtant, dans ma chambre de bonne à Paris, au 6éme étage sans ascenseur, je me sentais comme au paradis. J´avais, enfin, coupé définitivement le cordon ombilical. J´étais libre !!!