31 juillet 2006

Quand on demande au peuple

A Juan Gelman

Quand on demande au peuple
d'ici ou d'ailleurs
que pensez-vous de la guerre
celle d'ici ou d'ailleurs
Le peuple répond
non aux bombes, non au napalm, non aux mines
qui coupent les jambes des enfants
non à la faim des enfants
d'ici ou d'ailleurs
le peuple répond non à la guerre
et pourtant les bombes continuent à tomber
et les balles à tuer
et les mines à couper les jambes des enfants
d'ailleurs
avec les armes d'ici...

25 juillet 2006

Quand il tombe des bombes

Quand il tombe des bombes
sur les tombes des morts
et il n'y a point de remords
car les autres ont tort

quand les bottes brillent
comme l'or
et marchent au pas au pas au pas...

alors
les hommes simples
tremblent au nom de la patrie
et de la liberté
au nom des plus forts

et quand les bombes tombent
et tombent
et quand il pleut du sang et des yeux

alors
alors il n'y a plus de ciel bleu
et tout le monde a tort
tout le monde a tort
quand il pleut la mort.

"ET BIENTOT L'AN 2000!"

19 juillet 2006

Je tourne



Je tourne en rond
et je pense ovale
comme un oeuf
comme un boeuf
comme le dernier scandale.

Je me gratte le front
dans mon carré
conjugal et familier
je marche en long
en large et en vitrier
jaune rouge et fécond
je suis enfin libéré
même triangulaire
et tout droit
comme un point de repère
comme une croix.

Je suis libéré et tutélaire
dans l'hypoténuse des muses
dans l'attente sans fin
je tourne et je détourne
mes derniers confins
mes derniers matins
et chaque nuit je séjourne
le regard en coin
en diagonale en parallèle
le regard lointain.

Je tourne la manivelle
je tourne en rond et en vain.

Illustration : Carmelo Arden Quin

12 juillet 2006

Fatigue du début de l'hiver

Les yeux fatigués
le soleil fatigué
ce lundi et les jours suivants
la nuit tombe très mal
et se casse le plâtre
ce n'était pas le moment!

Elle boite malgré la canne
et les étoiles pâles de ce début
et la lune aïe la lune!...
Qu'est devenue la lunita
de ma triste jeunesse?
Est-elle toujours aussi ronde et
aussi conne, la lune?

Aïe luna lunita lunaire
avec ton regard triste
et ton sourire de victime.

Est-ce ma faute
si la gravité de la pomme
explique le mystère
de tout l'univers
ou est-ce tout simplement
la fatigue de l'hiver?



Illustration par le poète lui-même (détail de "Bar Suarez")

07 juillet 2006

Je voudrais dire...

Je voudrais dire mon coeur
mes yeux fatigués
je voudrais dire oui
et mon âge dit non.

Mon âge pèse septante cinq kilos
sur la balance du temps
qui s'échappe doucement
de ma pauvre cervelle grippée.

Et la poésie qui tape à ma porte
et ma porte coince grince
faute d'huile de sycomore
pour les articulations signalées.

Que vais-je devenir plus tard
dans l'immensité du silence
de l'infini poussiéreux des étoiles
dans un champ blême de croix
que vais-je devenir sans poésie?

02 juillet 2006

La vigne vierge brûle


Tant de beauté sur le vieux mur
rend fous les moineaux
et les tourterelles du jardin
et le clocher du village annonce
comme chaque jour
les enterrements de l'automne
dans un paysage rouillé
par la fuite de l'été.

Le vieux mur du jardin
est si rouge si bariolé
que le Louvre
profondément humilié
a fermé ses portes
car, ohé, ohé,
tous les pillages de l'histoire
ne valent pas une seule feuille
de ma vigne rouillé.

L'automne sans effort
couvre le vieux mur de flammes
puis jette chaque feuille
dans la boue de l'oubli
art sublime de l'éphémère
sans experts et sans temples
pour conserver le passé.

Dans mon jardin
toute l'histoire de l'art
est un poème
sur une feuille rouillée.