15 août 2007

La «ré-institutionalisation » de l´art : La misère de l´artiste

par Alexandre Barbosa

“Notre intention est de faire une synthèse, d´un point de vue de la théorie critique - ou “moderniste”, si vous préférez - sur le débat de l´art de notre époque, nommé, au Brésil, “post-moderniste” ou “ultra-moderniste”, pour pouvoir nous positionner par rapport à l´art moderne.
Le concept de l´art que nous utiliserons est celui que Bourdieu attribue au discours traditionnel de l´Académie des Beaux Arts. Concept que nous retrouvons, entre les lignes, chez un auteur comme Gombrich. Cette généralisation est simple et fonctionnelle : L´art moderne est une sorte de production culturelle qui n´est pas créée pour répondre à une demande pré-déterminée. Ainsi l´art se différencie de l´artisanat, car ce dernier mode de production répond lui à une demande spécifique, qui peut être considérée comme essentiellement “commerciale”.
Si tous ces concepts existaient à l´état pur et n´étaient pas aussi liés et emmêlés, comme ils le sont dans la réalité, on pourrait facilement séparer l´oeuvre dite “artistique” de l´oeuvre “artisanale” ou même très “commerciale”.
Par exemple, quand nous allons dans une galerie d´art “commerciale” et achetons un paysage traditionnel, il y a de bonnes chances que nous ayons acquis une oeuvre artisanale. Par contre quand nous visitons le salon annuel d´Art Contemporain et observons les réalisations “d´avant-garde” nous pouvons supposer qu´il s´agit là d´authentiques oeuvres d´art.
Une fois défini le concept de l´art et accepté comme un axiome nous pouvons entrer dans le vif du sujet : En quoi se caractérise l´art d´aujourd´hui (qu´il soit “post” ou “ultra”) et en quoi il se différencie de l´art dit “moderne” ?
La réponse sera claire si nous nous situons dans une perspective historique. L´art, tout le long de son histoire a, presque toujours, choisi de renforcer les institutions culturelles, politiques et sociales établies. L´art grec, qui jusqu´à aujourd´hui enchante ceux qui adhèrent au modèle aryen de beauté et d´élégance ; mais aussi la Renaissance qui glorifie et sanctifie l´image de l´homme, c´est-à-dire l´image d´une nouvelle aristocratie née du commerce.
La modernité apporta, dans sa période de grande vigueur créative, un nouveau paradigme à la production artistique. Les idéologies associées à l´idée de modernisme - le socialisme, le communisme, l´anarchie, le fascisme - ont en commun, un certain nihilisme - soit le désir de destruction et de reconstruction utopique du monde - et l´esprit “révolutionnaire” que suppose l´adhésion à ce type d´idéologie. L´institution (le système) devient ce qui doit être combattu et non plus ce qui doit être exalté et légitimé par l´art. Pour ce nouvel art, la critique a un rôle déterminant : L´art doit avoir un engagement révolutionnaire et non plus un rôle de soumission aux valeurs traditionnelles.
Maintenant nous pouvons comprendre avec plus de clarté la situation de l´art d´aujourd´hui. Les idéologies de la modernité ne sont plus acceptées de façon inconditionnelle par “l´avant-garde” (en réalité le concept même d´avant-garde se dilue) et l´avant-garde artistique et intellectuelle n´est plus une croyance largement admise qui justifierait le besoin d´un art critique, révolutionnaire et anti- institutionnel. Toutes les difficultés et toutes les souffrances générées par l´attitude révolutionnaire comme l´exclusion de l´artiste des circuits institutionnels et la condamnation à l´anonymat, ne sont plus considérées comme valorisant ou comme des vertus ascétiques. L´art révolutionnaire s´est tellement affaibli que même la révolte (absorbée, domestiquée et modérée jusqu´à devenir totalement inoffensive pour les institutions), est considérée comme un “phénomène de jeunesse” sans plus aucun impact et conséquences sur la société.
En termes d´esthétique, nous n´avons pas un art nouveau, mais une perpétuation imitative du “modernisme”classique. Nous devons néanmoins signaler que la plupart de ces artistes se veulent critiques, c´est-à-dire modernistes. Ceci explique le grand fossé qui existe entre le discours et l´oeuvre ; entre le public et l´oeuvre. Par exemple, une “performance” se présente selon une esthétique semblable à celle des précurseurs, mais avec une intention totalement différente. Les premières “performances” étaient des provocations, des actions destinées à déranger les institutions, à les ridiculiser même. Aujourd´hui les “performances” sont officialisées et sont même prévues dans la programmation des salons et des festivals !
Ce qu´il y a de plus contradictoire dans ce processus c´est que les artistes qui réalisent ces “performances” (et d´autre type d´actions dans cet esprit) continuent à garder un discours prétendument anti-institutionnel, malgré l´évidence de sa fausseté. (...)
Cette réutilisation de la tradition “moderniste” d´un art critique et anti-institutionnel dans une production conformiste et institutionnelle donne des arguments à tous ceux qui ne voient pas une rupture, mais tout simplement une continuité dans les conventions de la post-modernité.
Dépourvu de l´élan révolutionnaire, qu´on aurait pu espérer dans un monde réel, l´artiste contemporain devient l´héritier d´une tradition dont il garde l´esthétique et le discours, mais non pas la pratique et il se met ainsi en porte-à-faux. Son oeuvre, qu´il le veuille ou non, n´est ni commerciale ni artisanale ; donc elle ne sera reconnue que si elle obtient la consécration officielle (jury de salons, critiques d´art, marchands). Mais le pouvoir de ces mécanismes de consécration n´a pas de base solide, il n´est que symbolique. Duchamps avait déjà démontré qu´absolument ”tout est art”, donc ce n´est plus la maîtrise d´une technique qui peut, comme dans le passé, être considérée comme une référence de qualité. Aujourd´hui la technique appartient plus au domaine de l´artisanat qu´à celui de l´art.
Ainsi un objet quelconque peut être considéré de l´art par les institutions et par leurs mécanismes de consécration qui se basent, généralement, sur un discours dénué de raisons logiques ou fondées et qui trouve sa légitimité par le seul fait des prix et de la renommée fabriquée par les salons et les galeries.
Les artisans vivent de leur production, mais l´artiste ne peut vivre que de ce qui est légitimé par les institutions. Il n´y a plus, comme par le passé, de mouvements assez importants d´artistes qui pourraient, ensemble, imposer un art critique et anti-institutionnel. L´artiste contemporain, s´il veut être reconnu, ne peut produire que des projets “bureaucratiques” destinés aux salons et prier pour que l´oeuvre présentée attire l´attention bienveillante du jury.
La possibilité de que ces oeuvres institutionnelles puissent contenir une critique ou une contestation du système est peu probable, car difficilement les institutions pourraient approuver un art qui leur est hostile.
Malheureusement les artistes, par ignorance ou immoralité (ou un peu des deux, comme c´est généralement le cas) continuent à véhiculer un discours dans la tradition embaumée de la « radicalité » moderniste. Ils sont ainsi d´authentiques post-modernes comme les hommes politiques qui se disent près de leurs électeurs, comme les entrepreneurs qui disent penser surtout à leurs “collaborateurs” et y compris comme les professeurs, qui se mentent à eux-même en affirmant leur engagement pour l´éducation des étudiants, quand ils ne sont rien d´autre que les émissaires de l´idéologie dominante.”


Alexandre Barbosa

Aucun commentaire: